La moitié oubliée du cerveau pour retrouver la mémoire

Communiqué de presse réalisé pour le laboratoire du Professeur Jean-Yves Chatton et diffusé par l’Université de Lausanne. Illustration: ©Chatton & Rosenberg, UNIL.

Une équipe de recherche de l’UNIL a réussi à préserver la mémoire de souris Alzheimer en boostant les fonctions métaboliques des cellules gliales plutôt que celles des neurones, un virage saisissant pour les stratégies de traitements.

La maladie d’Alzheimer affecte progressivement la mémoire jusqu’à la perte d’autonomie des individus. Elle causerait la mort de neurones dans les régions cérébrales où siègent les mécanismes de la mémoire et de l’apprentissage. Les stratégies de traitements focalisées sur les neurones s’étant jusqu’ici soldées par des échecs, des chercheurs et chercheuses de l’Université de Lausanne (UNIL) ont décidé de changer de paradigme en se tournant vers un type de cellules peu considérées par les neuroscientifiques et supposément épargnées par la maladie d’Alzheimer : les astrocytes. Ils font partie de la famille des cellules gliales et sont connues pour leurs propriétés utiles au soutien structurel et fonctionnel des neurones. Les neuroscientifiques de l’UNIL se sont intéressés à une de leurs protéines, UCP4, présente dans leurs mitochondries, sortes de centrales énergétiques des cellules. En surexprimant UCP4 dans les astrocytes de souris Alzheimer, l’équipe de l’UNIL est parvenue à prévenir les multiples dégradations induites chez les neurones. L’étude, à découvrir dans la revue Glia, montre que des souris Alzheimer ainsi traitées précocement ne perdent pas la mémoire à un âge avancé. 

La maladie d’Alzheimer touchait 35,6 millions de personnes dans le monde en 2015, selon l’OMS. La maladie est en constante progression avec un doublement des cas prévus tous les 20 ans. Elle affecte les fonctions cognitives essentielles comme la mémoire, le langage, le raisonnement et l’orientation spatiale, jusqu’à une perte totale d’autonomie. Ces dommages sont attribués à l’altération des neurones qui composent les zones cérébrales importantes pour la mémoire et l’apprentissage, notamment l’hippocampe. La maladie se caractérise par la présence de plaques constituées par une accumulation entre les neurones de la protéine ß-amyloïde et par la présence d’enchevêtrements neurofibrillaires dans les neurones. Elles causeraient progressivement le dysfonctionnement de ces derniers jusqu’à leur mort, expliquant la baisse de volume de l’hippocampe et les pertes de fonctions cognitives observées chez les patient·es.

À ce jour, il n’existe aucun traitement curatif et l’efficacité des approches actuelles est remise en cause. « Ce sont essentiellement des traitements indirects qui visent à augmenter les fonctions cognitives comme la mémoire et l’attention. Les nombreuses études et essais visant les plaques amyloïdes ou les enchevêtrements neurofibrillaires se sont soldés par des résultats décevants », indique Jean-Yves Chatton, chercheur en neuroscience et directeur du Département des neurosciences fondamentales de l’UNIL. Il est donc urgent de trouver de nouvelles stratégies pour se battre contre cette démence.

Une mémoire intacte
Plutôt que d’agir sur les neurones, les plaques ou les enchevêtrements, l’équipe de recherche de Jean-Yves Chatton s’est focalisée sur les astrocytes, des cellules gliales souvent négligées par les neuroscientifiques. « Comme les approches directes sont peu efficaces, l’idée était de trouver un moyen indirect de préserver les neurones en s’appuyant sur des cellules qui ne sont pas elles-mêmes atteintes par la maladie, donc théoriquement en bonne santé et qui plus est connues pour leurs capacités curatrices envers les neurones », indique Jean-Yves Chatton.

Pour cette étude, son équipe de recherche a développé une approche permettant d’augmenter une fonction des astrocytes connue pour préserver de la mort neuronale. Les résultats montrent que cette nouvelle stratégie est capable de contrer les altérations pathologiques observées chez les souris atteintes de la maladie d’Alzheimer, comme la perturbation précoce du métabolisme cérébral, l’atrophie de l’hippocampe, les modifications de la structure des neurones et l’excitabilité neuronale aberrante. De manière remarquable, la mémoire des souris Alzheimer s’en trouve préservée.

Booster les mitochondries des astrocytes
Les astrocytes apportent un soutien structurel et fonctionnel aux neurones, notamment grâce à l’échange de substances qui agissent sur les mécanismes de plasticité neuronale à la base des processus de mémorisation ou encore en leur fournissant de l’énergie. Les astrocytes sont également connus pour avoir une machinerie de respiration et de production d’énergie — les mitochondries — favorisant des conditions antioxydantes, ce qui les rend particulièrement résistants au stress oxydatif. « Les premiers stades de la maladie sont justement associés à un trouble du métabolisme et à la présence de stress oxydatif. Tout ceci les place d’une manière ou d’une autre au cœur de la problématique », précise Nadia Rosenberg, première auteure de l’étude et assistante de recherche au Département des neurosciences fondamentales de l’UNIL.

Fort de ce raisonnement, le laboratoire de Jean-Yves Chatton a cherché à renforcer les fonctions antioxydantes des astrocytes en escomptant un effet protecteur sur les neurones. Pour ce faire, il s’est focalisé sur une protéine, UCP4. Le rôle de cette protéine est d’abaisser l’oxydation produite par les mitochondries lorsqu’elles génèrent de l’énergie en consommant de l’oxygène. Une étude précédente a montré que lorsqu’UCP4 était surexprimé dans les mitochondries des astrocytes, elle permettait, par un mécanisme encore mal compris, d’améliorer la fonction des neurones. « Nous avons produit des virus capables d’infecter les astrocytes et de délivrer UCP4 dans leurs mitochondries », précise le chercheur. En procédant de la sorte, ils ont ni plus ni moins réussi à dévier les souris Alzheimer de leurs trajectoires pathologiques.

Une porte ouverte à de nouvelles stratégies de traitement
Les résultats de l’étude montrent que le fait de cibler les astrocytes et leurs mitochondries est une stratégie efficace pour prévenir le déclin des neurones observés dans les premiers stades de la maladie. L’approche utilisée dans cette étude, à savoir délivrer des gènes chez la souris grâce à des virus, est l’équivalent d’une thérapie génique chez l’humain. Il est néanmoins trop précoce de parler de traitement potentiel, d’autant que les thérapies géniques sont encore balbutiantes. Par contre, l'étude ouvre de solides pistes d’exploration. « Nous allons désormais identifier précisément les molécules et les mécanismes qui lient UCP4 au développement de la maladie d’Alzheimer ». De ces futures recherches pourrait découler l’identification d’un traitement médicamenteux.

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