Cancer et travail: certaines femmes n’ont droit à rien! 

Article réalisé pour la newsletter de l’Observatoire des effets adverses de l’Association savoir patient. Illustration générée avec l’assistance de l’intelligence artificielle de DALL-E 2.

Capacités physique et psychique modifiées, barrières légales, risque de perte d’emploi et de gain, tensions avec les employeurs : autant d’embûches à la vie professionnelle.

Une large partie des 6 300 femmes et des 50 hommes diagnostiqué-e-s pour un cancer du sein chaque année en Suisse est confrontée à des problèmes en lien avec l’emploi pendant ou après les traitements. La majorité des cas se déclarent avant la retraite et les femmes jeunes ne sont pas épargnées avec 23,5 % des diagnostics établis avant la cinquantaine. De surcroît, le taux de survie à 5 ans étant élevé — il a atteint 88 % en 2018 —, le nombre de personnes concernées progresse.

Le travail est une source de gain, un exutoire salvateur et le symbole d’une réadaptation réussie. Malheureusement, le parcours qui attend les personnes qui reprennent ou continuent une activité professionnelle est semé d’embûches. Yves Hochuli, Directeur adjoint de la Ligue vaudoise contre le cancer, dresse un tour d’horizon des limitations du système et souligne les points de vigilance qui peuvent être anticipés, avec un regard particulier sur les aspects légaux et assécurologiques. Car, au-delà de capacités physiques plus adaptées au métier exercé, les licenciements légaux et les couvertures de risques inadaptées sont souvent qualifiés de « double peine ».

 

Réapprivoiser le corps et l’esprit

Les six premiers mois après la fin d’un traitement par chimiothérapie sont reconnus comme étant une période au cours de laquelle la capacité à reprendre une vie active est limitée en raison de l’impact des traitements et d’un moral fragilisé. « Le délai de retour au travail est très variable, il se fait plus ou moins rapidement selon les cas, les séquelles liées et le type de métier. Le cancer du sein est particulièrement impactant pour les personnes ayant subi une ablation des ganglions et qui doivent mobiliser leurs membres supérieurs dans leur travail. Certaines personnes doivent se réorienter professionnellement. », décrit Yves Hochuli.

La fatigue est le problème principal rencontré par les personnes actives. Les effets secondaires dus aux traitements chimiothérapiques comme la perte de sensibilité à l’extrémité des membres ou les troubles de la mémoire et de la concentration impactent fortement les capacités d’emploi. Pour finir, la prise d’antihormones s’accompagne le plus souvent d’impacts physiques et psychiques. 

La période « post-traitements » peut être particulièrement délicate tant le corps et la vie peuvent se trouver modifiés.

Malgré l’engouement qu’elle suscite, la période de retour au travail doit se faire progressivement. L’entreprise employeuse joue un rôle capital pour laisser aux personnes le temps de retrouver une routine en aménageant l’environnement de travail. Malheureusement, ce n’est pas toujours possible et la loi n’est pas favorable aux employés et employées.

 

Les méandres légaux

Bon nombre devront revoir leur statut de travailleur ou travailleuse et envisager une reconversion, une période de chômage, voire l’aide sociale. Mais, aucune de ces mesures n’est le gage d’entrées financières, car elles ont leurs limites.

La première barrière est souvent l’absence de couverture d’assurance perte de gain en cas de maladie. C’est elle qui assure le revenu aux employé-e-s en situation de maladie. Elle couvre généralement le salaire à hauteur de 80 % pendant deux ans. « C’est une assurance onéreuse et comme elle est facultative, beaucoup d’entreprises n’en disposent pas. Toutes les tentatives pour la rendre obligatoire se sont soldées par un échec », selon Yves Hochuli.

Lorsqu’il n’y a pas d’assurance perte de gain, c’est le droit suisse du travail — le code des obligations — qui définit la période de protection avant le retour. La personne absente a droit à son plein salaire durant seulement trois semaines lors de la première année de service. Ce droit est prolongé, en fonction du nombre d’années de service selon l’échelle de Berne ­­— une jurisprudence de 1926. Elle prévoit 1 mois payé après 2 ans de service, 2 mois entre 2 et 4 ans, 3 mois de la 5e à la 9e année, puis 1 mois en plus tous les 5 ans pour atteindre 6 mois après la 20e année. « Il existe d’autres jurisprudences, mais aucune ne couvre la totalité de la période d’absence nécessaire au traitement d’un cancer du sein », complète-t-il.

 

Salvatrice bienveillance de l’entreprise

Indépendamment du droit au salaire, la loi prévoit un délai de protection contre le licenciement en fonction de l’ancienneté. En cas de maladie, un délai de protection de 30 jours est prévu au cours de la première année de service, de 90 jours de la deuxième à la cinquième année, puis de 180 jours à partir de la sixième an­née. Passé ce délai, le contrat de travail peut être rompu. Les licenciements sont frustrants et injustes, mais ils peuvent constituer une question de survie pour les petites et moyennes entreprises, car pour elles, chaque poste compte.

Yves Hochuli indique que l’aménagement du travail est plus facile pour l’État ou pour une grande entreprise, avec des départements de ressources humaines, de médecine du travail et un nombre important d’employé-e-s. « Dans tous les cas, on compte sur la compréhension des institutions ou des entreprises. » Rien ne peut donc être imposé aux entreprises sans des lois contraignantes. C’est pourquoi des campagnes de sensibilisation sont importantes, tout comme les actions des ligues, des associations et des individualités pour proposer des solutions viables aux entreprises.

Mais bon nombre de situations heureuses existent, « surtout lorsqu’une relation de confiance existe avant la maladie, qu’il y a une bonne communication pendant les traitements et une attitude compréhensive de part et d’autre ».

Les limites de l’Assurance invalidité

Une partie des personnes se retrouve donc au chômage. Mais attention, il est réservé aux capacités de travail de 20 % au minimum! « C’est l’aide sociale qui attend les autres, du moment que leur fortune personnelle ne soit pas trop élevée », prévient le conseiller juridique.

Les personnes en incapacité de travail peuvent bénéficier de prestations de l’Assurance-invalidité (AI). Il convient néanmoins de réagir au plus vite. La demande de la rente AI doit idéalement être déposée dans les 6 mois après l’annonce d’incapacité. La rente ne sera allouée que 6 mois après le dépôt de la demande, mais au plus tôt une année après le début de l’incapacité de travail. Les personnes ne touchent donc rien pendant la première année et tout retard de demande repousse encore l’obtention d’une éventuelle rente.

Une fois la demande faite, l’AI détermine le taux d’invalidité, lequel est une notion économique et non médicale. Ce taux est la conséquence de l’incapacité de gain qui résulte de la maladie. Pour les personnes travaillant à 100 %, le taux d’invalidité est calculé en comparant le revenu préalable au cancer, soit avant l’invalidité, avec le revenu que la personne est encore capable de gagner en dépit de ses problèmes de santé.

Pour le temps partiel, le calcul se fait différemment : l’incapacité de gain se détermine tant dans l’activité professionnelle que dans les travaux ménagers. Pour ces derniers, elle est déterminée sur la base d’une enquête ménagère prenant en compte les empêchements dans l’accomplissement des tâches habituelles, par exemple les activités de nettoyage ou de gardiennage. Ensuite, une rente est déterminée selon une échelle dépendante du taux d’invalidité. « Et c’est là que le bât blesse, car si un taux d’invalidité au-dessus de 70 % permet de toucher une rente entière, un taux en dessous de 40 % n’octroie rien. Dans nos sociétés occidentales, les femmes sont très souvent en travail partiel. Certaines ne toucheront donc rien! », explique Yves Hochuli.

 

Quand entreprendre met en danger

Les personnes qui sont leurs propres patronnes ou avec un statut d’indépendantes, sont particulièrement exposées au risque. Premièrement, elles n’ont pas droit au chômage. Deuxièmement, elles n’investissent que trop rarement dans une assurance contre le risque de maladie. « Elles vont le plus souvent devoir travailler, incapacité ou pas, pour assurer leurs mandats avec leur clientèle. Si elles n’ont pas contracté d’assurance, très peu de solutions s’offrent à elles ».

 

Besoin d’une aide proactive

 Ainsi, à la métamorphose de l’identité corporelle engendrée par les chirurgies et l’ensemble des traitements, notamment les antihormones et leur impact sur la vie intime et la féminité, s’ajoutent des conditions de retour au travail peu propices aux femmes. Devoir « quémander » l’aide sociale ou être à l’AI touche à la dignité. Suite aux traitements, l’entrée en jeu d’une assistance sociale et d’un soutien psychologique est un indispensable pour aider à reconstruire la meilleure vie possible. Certaines Ligues cantonales contre le cancer ont mis des programmes de réadaptation en place pour les besoins d’accompagnement physiques, psychologiques et sociaux. Car, comme le dit Yves Hochuli : « le chemin n’est pas terminé… »!

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