Femmes : ces cœurs qui tuent

Article paru dans Le Temps, illustration d’ Hush Naidoo Jade Photography sur Unsplash

Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de décès des femmes dans les pays occidentaux, par pure ignorance.

En Suisse, comme dans les pays à revenus élevés, les femmes meurent plus de maladies cardiovasculaires que du cancer du sein ou de toute autre maladie. Bien que moins fréquemment atteintes que les hommes, elles en meurent plus souvent, comme le montrent les données 2019 de l’office fédéral de la statistique avec 31 % des décès, contre 28 % chez les hommes. Pourtant, les principales concernées et les médecins ne semblent pas en être pleinement conscients. Les croyances se font tenaces et ces maladies sont toujours considérées comme étant l’apanage des hommes. Cette ignorance collective est désormais pointée du doigt et des recommandations médicales conjuguées au féminin sont exigées. Car, malgré le fait que les symptômes diffèrent entre les hommes et les femmes, les savoirs médicaux sont encore exclusivement basés sur la gent masculine, faisant peser un lourd tribut aux femmes.

Fort heureusement des études sont en cours pour adapter les diagnostics et les traitements, et diverses initiatives issues des milieux associatifs et hospitaliers voient le jour pour faire de la prévention et du dépistage. Certains établissements de soins, comme l’Hôpital de La Tour, ont mis en place des parcours spécifiques et sensibilisent les équipes pour éviter le sous-diagnostic et ceci dès la formation des internes aux urgences, mais également dans son Centre de médecine fœto-maternelle. Car, en attendant un arsenal médical genré pour combattre les atteintes du cœur, c’est la médecine des femmes qui se profile en sauveuse : les consultations pour la grossesse ou la ménopause constituent des opportunités pour le dépistage et la prévention. Mais qu’est ce qui rend le cœur des femmes si fragile, et comment agir adéquatement dès aujourd’hui?

Les femmes font aussi des infarctus! 

Chez les femmes comme chez les hommes, les artères qui irriguent le cœur peuvent s’obstruer silencieusement par l’accumulation de corps gras, de cholestérol et d’autres substances sous forme de plaques. La rupture de ces dernières ou l’engorgement de sang qu’elles provoquent causent un accident vasculaire cérébral ou un infarctus du myocarde. Les deux peuvent engendrer la mort s’ils ne sont pas pris en charge dans les minutes qui suivent les premiers symptômes. C’est pourquoi la connaissance de ces derniers est cruciale, or, ils ne sont pas identiques pour les deux sexes. Comme chez l’homme, des douleurs thoraciques aiguës et des irradiations dans le bras gauche peuvent survenir, mais dans deux tiers des cas, ce sont des nausées, de la fatigue, des sueurs ou une sensation d’étourdissement qui vont se manifester.

Les causes principales des troubles cardiaques sont communes aux deux genres : tabac, sédentarité, malbouffe, hypertension, hypercholestérolémie, diabète, stress et surpoids. Lors des trente glorieuses, la croissance exceptionnelle de l’économie occidentale a donc offert le cocktail idéal pour atteindre les hommes, soit les personnes majoritairement en emploi à l’époque : opulence alimentaire, sédentarité au travail, stress de la performance et tabagisme dans tous les lieux de vie. « Les hommes tombaient comme des mouches », raconte le Dr Edoardo De Benedetti, cardiologue à l’Hôpital de La Tour, avant de poursuivre, « les cohortes de patients des études cliniques de l’époque étaient donc composées à 70 % d’hommes ».

Ainsi, soignants et médecins passent souvent à côté du diagnostic. « Il y a désormais une volonté de collecter des données sur la femme. À l’Hôpital de La Tour, nous avons renforcé la sensibilisation des équipes qui prennent en charge les femmes avec des symptômes à priori anodins », déclare Laurence Vignaux, physiothérapeute cardio-respiratoire et initiatrice des actions de dépistage cardiovasculaire à destination des femmes à l’Hôpital de La Tour.

À cela s’ajoute un manque de sensibilisation. Les femmes sont moins prises au sérieux et les délais de prise en charge sont plus longs. « Les médecins ont tendance à banaliser les symptômes et à les mettre sur le dos de l’angoisse. Les femmes repartent souvent avec d’inutiles anxiolytiques », indique Edoardo De Benedetti.Seuls 50 % des femmes sont conscientes que les maladies cardiovasculaires sont leur première cause de décès. Pour Laurence Vignaux, elles ont en plus « tendance à négliger leurs propres symptômes, surtout par manque de temps pour s’occuper d’elles. » 

Similitudes et différences de genre : la double peine 

Stress, tabagisme, suralimentation et sédentarité ont gagné les femmes ces dernières décennies, les rapprochant de l’hygiène de vie des hommes et augmentant par la même leur risque cardiovasculaire. Mais tout cela n’explique pas entièrement l’inquiétante disparité, car il existe des différences de genres. Les femmes ont plus d’hypertension lorsqu’elles prennent de l’âge et des prédominances féminines pour l’obésité, la sédentarité et le stress sont observées. De plus, le diabète et le tabac ont plus d’impact chez la femme, et des facteurs de risques spécifiques existent, notamment le syndrome des ovaires polykystiques, les complications de la grossesse et certains traitements du cancer du sein.

Finalement, les hormones font définitivement basculer les statistiques dans le mauvais sens. Les œstrogènes naturels ont un effet protecteur sur les vaisseaux, mais leur sécrétion s’arrête lors de la ménopause. La protection des vaisseaux disparaît avec, et, comme si cela ne suffisait pas, le poids, la tension artérielle et le cholestérol prennent l’ascenseur. Et c’est encore pire si la ménopause est précoce. « Elle augmente de 36 % le risque cardiovasculaire. Une substitution hormonale permet de diminuer le risque, que la ménopause soit physiologique, vers 50 ans, ou précoce », complète la Dre Antonella Valiton-Crusi, gynécologue et médecin-cheffe de la maternité de l’Hôpital de La Tour. Toutefois, tout est une question de timing, de dosage et de voie d’administration du traitement hormonal. Une substitution trop tardive après la ménopause augmente le risque, mais la gynécologue se veut rassurante : « l’hormonothérapie sous forme de patch ou de gel permet de diminuer les symptômes de la ménopause de manière sécuritaire ».

La grossesse est un risque en soi

Selon des études européennes récentes, les problèmes cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité maternelle. « Certainement en raison de l’augmentation de l’âge maternel et des facteurs de risque cardiovasculaires tels que l’obésité et le diabète », indique la Dre Nicole Jastrow Meyer, gynécologue-obstétricienne et co-directrice du Centre de médecine fœto-maternelle de l’Hôpital de La Tour. Quant aux femmes enceintes atteintes de cardiopathies congénitales, « la grossesse est à haut risque et nécessite un suivi spécialisé multidisciplinaire », poursuit-elle. 

Certaines maladies de la grossesse sont très problématiques pour le cœur. C’est le cas du diabète gestationnel et de la prééclampsie, une maladie hypertensive de la grossesse due à une fatigue prématurée du placenta. « Elle touche la femme jeune et double le risque de maladie cardiaque et vasculaire », alerte laDre Agnès Ditisheim, spécialiste en médecine maternelle et co-directrice du Centre de médecine fœto-maternelle de l’Hôpital de La Tour.

Des mesures de suivi en cours de grossesse et à long terme doivent donc impérativement être mises en place pour ces futures mères. « Nous sommes toutefois encore limités par l’absence de recommandations médicales solides pour guider notre pratique, puisque les directives actuelles ne tiennent pas compte des facteurs de risques émergents spécifiques à la femme. En particulier pour la prescription de mesures préventives médicamenteuses comme les statines utilisées pour abaisser le cholestérol », déclare Agnès Ditisheim.

Dépistage et prévention

Prévention et dépistage précoce sont donc les meilleures défenses. « À différentes étapes de leur vie, les jeunes femmes vont entrer en contact avec le corps médical que ce soit pour discuter d’une contraception ou lors d’une grossesse. Ce sont des occasions précieuses pour détecter des prédispositions à la maladie cardiovasculaire qu’il faut absolument saisir », indique Dre Agnès Ditisheim. L’Hôpital de La Tour et son Centre de médecine fœto-maternelle ont pris les devants. Son équipe multidisciplinaire fait le nécessaire pour passer les facteurs de risque à la loupe. « L’activité physique régulière est une des mesures efficaces pour réduire le risque de complications de la grossesse. Nous avons développé un programme sport et grossesse pour les accompagner à la pratique d’une activité physique régulière », poursuit-elle.

Ainsi, l’Hôpital de La Tour a initié une multitude d’actions de dépistage et de prévention dédiées au cœur des femmes. Une journée gratuite de dépistage sera menée en 2022. Mais les actions ne s’arrêtent pas là : des posts sur les réseaux sociaux, des brochures patients, des conférences, une application pour évaluer le risque cardiovasculaire et des campagnes de dépistage en entreprise sont déployés. « Nous montrons l’exemple et mettons l’énergie qu’il faut pour réduire les inégalités de genre en cardiologie! », conclut Laurence Vignaux.

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