Rupture du ligament croisé antérieur: des soins à l’écoute des modes de vie
Article réalisé pour l’Hôpital de la Tour, paru dans le quotidien Le Temps. Photo by Nathan Dumlao on Unsplash
Le ligament croisé antérieur joue un rôle important dans la stabilité du genou. Lors d’une déchirure, les patients choisissent entre chirurgie et rééducation, selon la demande fonctionnelle dictée par leur niveau d’activité.
L’articulation du genou est cruciale pour notre mobilité. Grâce à elle, nous pouvons marcher, courir et faire du sport, nous asseoir, nous allonger ou nous mettre en tailleurs. Aussi importante soit-elle, sa stabilité ne tient qu’à des fibres de collagène de 33 millimètres de long et onze millimètres de diamètre: le ligament croisé antérieur du genou (LCA). Lors de ruptures ou de déchirures —il y en a 3300 par année en Suisse selon la SUVA, il n’est parfois plus possible de maintenir notre mobilité, voire notre mode de vie. C’est ce dernier point qui va primer pour déterminer la nature des traitements.
Le ligament d’Achille
L’articulation du genou est stabilisée par plusieurs ligaments, ils portent leur nom en fonction de leur position: le ligament collatéral latéral, le ligament collatéral médial et deux ligaments croisés, l’un antérieur et l’autre postérieur. Ces derniers se croisent entre les deux condyles du fémur, soit l’extrémité arrondie de l’os qui s’articule avec le tibia. «Tous ces ligaments servent à stabiliser le genou. Le LCA empêche le mouvement du tibia vers l’avant et la rotation interne, par rapport au fémur», indique le Dr Maxime Grosclaude, médecin du sport à l’Hôpital de La Tour.
Le genou est robuste et fragile à la fois. Il est capable d’absorber énormément de charge et de rotations. La Ligue suisse contre le rhumatisme indique qu’un genou sain peut supporter trois à quatre fois le poids du corps lors d’une marche rapide, huit fois en descente et neuf à onze fois pendant la course à pied! Le ligament croisé antérieur supporte une partie de ce poids. «Il subit une force jusqu’à 400 newtons, soit 40 kilos pendant la marche. Il rompt si on lui applique plus de 2200 newtons, soit 220 kilos», précise le Dr Julien Billières, chirurgien du genou à l’Hôpital de La Tour.
Il existe plusieurs gravités d’entorses du genou: bénigne, moyenne ou grave. Lors d’une blessure grave au genou, on retrouve dans 50 % des cas une rupture du LCA.
Un genou, plusieurs disciplines de santé
Pour traiter une rupture du ligament croisé antérieur, le parcours du patient est particulièrement riche en disciplines de soins. Les chirurgiens, médecins du sport, radiologues et physiothérapeutes sont très impliqués. À leurs côtés, les nutritionnistes et psychologues sont des spécialités clés pour la réussite à long terme du traitement. «Toute la plus-value d’un établissement de soins comme le nôtre réside dans l’interdisciplinarité, c’est à dire travailler en équipe ou les différents spécialistes interagissent constructivement et avec le patient. À la Tour, nous avons la chance d’abriter tout le monde sous le même toit, cela favorise les échanges et accélère les processus de décision, surtout pour le LCA où le patient est pleinement acteur de sa prise en charge. Il peut dialoguer avec tous les spécialistes lors d’un seul rendez-vous. Si un traitement fonctionnel ne marche pas, nous pouvons l’adresser aisément à un chirurgien», précise Maxime Grosclaude.
Zones sous tension
Si dans le 70 % des cas, selon le centre de compétence Swiss Medical Board, le patient type est un homme d’environ 35 ans, les femmes ont des prédispositions morphologiques, les jambes en X, qui les rendent particulièrement sujettes à la rupture du LCA. De ce fait, elles sont quatre fois plus à risque d’une rupture du LCA que les hommes.
Les sports nécessitant beaucoup de changements de direction et les sports de contact sollicitent particulièrement le LCA. Tous les sports d’équipes sont concernés, du football au basketball en passant par le hockey. Les sports individuels ne sont pas en reste, le ski en premier lieu. «Tous les sports d’imprévus avec des éléments perturbateurs qui nécessitent des mouvements d’évitement peuvent malmener le LCA, surtout si la musculature autour du genou n’est pas suffisante pour le protéger», précise Maxime Grosclaude.
Des signes qui ne trompent pas
En cas d’accident, comment savoir si le LCA est atteint? «Il faut déterminer quel type de traumatisme a subi le genou en écoutant attentivement le patient. Une torsion est clairement la source la plus fréquente. Ensuite, un genou qui gonfle, une impossibilité de prendre appui, un crac entendu par le patient sont évocateurs d’une entorse grave du genou qui nécessite des investigations», précise Maxime Grosclaude. L’écoute du patient est suivie d’un examen clinique, il consiste à faire faire un mouvement de tiroir vers l’avant, appelé test de Lachman, pour évaluer la tension du LCA.
En cas de suspicion clinique d’une rupture du LCA, les médecins effectuent une IRM et des radiographies pour poser un diagnostic définitif. «L’IRM aide à définir s’il y a des lésions associées à cette rupture. C’est très important de pouvoir les identifier et les traiter le cas échéant», indique Julien Billières. En effet, un tiers des cas présentent une lésion du ménisque et 90% une lésion du ligament antérolatéral. Ce dernier aide le LCA à contrôler la stabilité en rotation. «Les images IRM sont interprétées par des radiologues ostéo-articulaires de notre structure et les images sont régulièrement rediscutées et revues par les différents spécialistes», poursuit Julien Billières.
Genou personnalisé
La prise en charge du patient ne nécessite pas forcément une chirurgie, car il est possible, selon certains critères cliniques, de muscler suffisamment le genou pour que le rôle de stabilisation soit en partie compensé. La rupture du LCA entraine un jeu plus ou moins important dans l’articulation. Cette laxité est mesurée par le médecin et peut être classée comme légère, modérée, ou sévère. En fonction de cette laxité et des activités sportives ou professionnelles du patient, il se plaindra d’une sensation d’instabilité ou non, allant d’une appréhension à des déboitements. C’est l’un des facteurs qui va orienter le patient vers un traitement fonctionnel ou une chirurgie.
Dans tous les cas, le choix entre la chirurgie et la rééducation dépend de la demande fonctionnelle du patient et des lésions associées à la rupture du LCA. «Nous cherchons à savoir ce qu’il va vouloir imposer à son genou plus tard. En fonction de cela, nous déterminons si la contrainte sportive ou professionnelle imposée au genou sera compatible avec un traitement fonctionnel ou chirurgical», ajoute le chirurgien.
Le sport, cause et remède
Le traitement fonctionnel consiste à compenser la laxité du genou en renforçant la musculature, notamment les muscles, quadriceps et ischiojambiers, ainsi qu’un entrainement ciblé sur l’équilibre et la coordination des mouvements. «Ne pas opérer ne revient pas à ne rien faire, bien au contraire. Le physiothérapeute à un rôle clé dans l’encadrement et l’enseignement d’exercices au patient, afin de le rendre autonome dans sa prise en charge. La compréhension de sa blessure et des conséquences d’une inactivité imposée sont également des éléments importants à prendre en compte. Plusieurs mois de renforcement, d’exercices d’équilibre et de sauts sont nécessaires», précise le médecin du sport.
L’autre solution est donc la reconstruction ligamentaire par chirurgie. Les indications à l’opération sont la sensation d’instabilité que certains patients peuvent ressentir, la demande fonctionnelle, les lésions associées (ménisques, cartilage et autres ligaments du genou) et l’âge du patient. Concernant cette dernière indication, Julien Billières précise que «trop de jeu peut abimer les ménisques avec le temps. Leur usure ou déchirure va créer de l’arthrose à long terme. Nous recommandons donc une chirurgie aux jeunes patients, car ils vont encore beaucoup utiliser leurs genoux».
La chirurgie s’effectue par arthroscopie. Elle vise à reconstruire le ligament: la ligamentoplastie. Pour ce faire, les chirurgiens prélèvent un tendon autour du genou, celui des ischiojambiers par exemple. Le tibia et le fémur sont ensuite percés pour placer le tendon qui va recréer le ligament rompu. «Il est très important de placer le greffon au bon endroit pour reproduire l’anatomie du genou, mais aussi de pouvoir traiter les lésions associées comme les ménisques ou le ligament antérolatéral qui a un rôle important dans la stabilité en rotation. Reconstruire ce dernier va diviser par deux le risque de nouvelle rupture du LCA», indique-t-il.
La chirurgie nécessite également une rééducation et la récupération prend du temps. Un traitement fonctionnel prend de trois à quatre mois, contre six mois après chirurgie et neuf mois pour un retour à la compétition à haut niveau.
Le sport est donc à la fois la cause et le remède de cette lésion du genou, il occupe une place privilégiée à l’Hôpital de La Tour. En effet, son centre de médecine du sport est agréé «Swiss Olympic Medical Center», ce qui sous-entend qu’il possède l’expertise, mais aussi l’infrastructure idéale, faite de salles de rééducation, de musculation, et de piscine, pour optimiser le retour à une vie normale qu’elle soit sportive ou pas.
L’harmonie des soins
Le parcours de soins suivi par les patients touchés par une rupture du LCA illustre parfaitement le courant de la médecine actuelle qui mise à la fois sur l’ultraspécialisation des différents intervenants pour réduire les mauvais gestes à néant que sur une approche personnalisée visant à adapter la réponse thérapeutique aux besoins propres du patient. Tous ces ingrédients sont ceux de l’interdisciplinarité, une approche permettant d’harmoniser et de coordonner l’expertise des médecins, des soignants et du patient. Parce qu’aujourd’hui, aucune prise en charge n’aboutit sans l’association de tous et toutes, établissement compris. «l’Hôpital de La Tour, avec son centre de médecine du sport, fait figure de pionnier de ces démarches dans le secteur de la santé romande», concluent les deux médecins.