Faciliter l’ascension des femmes médecins
Article réalisé pour le magazine InVivo et LargeNetwork. Avec la participation de Carole Extremann et Erik Freudenreich. Photo by Francisco Venâncio on Unsplash
Les femmes composent près de 69% des effectifs du CHUV. Ce chiffre monte même à 80% pour les professions médicales et soignantes. Cependant, le taux de femmes à la tête de services hospitaliers ne dépasse pas 15%, selon les statistiques de 2020. Une situation partagée par de nombreuses entreprises privées et publiques, y compris les autres hôpitaux universitaires.
Évolution et inertie
Malgré les mesures de sensibilisation aux questions d’égalité, la situation évolue très lentement. Cette inertie s’explique notamment par les principes de l’évolution hiérarchique dans les milieux médicaux : les postes à responsabilités sont en effet liés à une activité de recherche qui impose un rythme de travail intense et moins structuré que l’activité clinique. « Il faut atteindre le meilleur niveau possible dans un intervalle de temps de carrière court, une exigence pas toujours compatible avec la construction d’une vie de famille », déclare Marine Jequier Gygax, médecin associée et maître d’enseignement et de recherche clinique au Service des troubles du spectre de l’autisme du Département de psychiatrie du CHUV.
Conjuguer travail clinique, parcours académique et vie privée revient à cumuler trois postes à plein temps. «La recherche passe alors au second plan, le soir et le week-end, pour prioriser nos patient-e-s», ajoute Antje Horsch, professeure associée à l’Institut universitaire de formation et de recherche en soins à l’UNIL et psychologue au Département femme-mère-enfant du CHUV.
Sans recherche, pas de poste à responsabilités et sans poste à responsabilités, l’accès à l’enseignement est également rendu difficile. De leurs études à leur premier poste en hôpital universitaire, les femmes se retrouvent donc trop souvent dans un environnement masculin aux codes bien définis, avec personne à qui s’identifier. «C’est l’un des freins directement liés à la représentation de la femme au travail, regrette Marine Jequier Gygax. Les jeunes femmes ont tendance à se positionner en fonction des codes en place plutôt que par leurs compétences et envies. Alors qu’elles devraient pouvoir se représenter comme des leaders !»
C’est l’ensemble des horaires de travail, des cahiers des charges et des conditions d’obtention des postes à responsabilités qui devrait par conséquent être revu. « Les femmes ne sont pas moins intéressées que les hommes, il faut augmenter l’attractivité des postes et les rendre compatibles avec les autres rôles de la vie », estime Antje Horsch. L’hôpital a tout à y gagner, car «les institutions et les entreprises fonctionnent mieux avec des équipes diversifiées, ajoute-t-elle. Les études le montrent.»
Une force d’influence au féminin
Au même titre que le télétravail, les postes de codirection figurent parmi les pistes à creuser, car ils permettent de travailler à temps partiel. «Il faut aussi créer des réseaux de femmes cadres pour les informer sur les mécanismes hiérarchiques, dit Marine Jequier Gygax. Un tel réseautage doit être intégré dans la structure, et amener le dialogue au sein des directions, proposer des idées et faire force d’influence.»
Plusieurs femmes allient aujourd’hui activité clinique et de recherche au CHUV. Dans les pages qui suivent, 12 d’entre elles témoignent des freins rencontrés, mais aussi de quelques évolutions encourageantes qu’elles observent.
Témoignages:
L’importance de l’affirmation
EMMANUELLA GUENOVA
Responsable du Service de dermatologie et d’un programme dédié aux lymphomes cutanés. Professeure associée UNIL, 41 ans, arrivée au CHUV en 2019.
«Mon focus de recherche porte sur l’immunologie cutanée, notamment sur la réponse apportée par le système immunitaire de la peau face à des agressions extérieures telles que les cancers. Pouvoir passer la moitié de ses journées dans la recherche, et l’autre en clinique est quelque chose de passionnant. Bien sûr que le fait d’avoir de nombreuses responsabilités diminue la part disponible pour la recherche, mais au final on trouve toujours le temps.
J’ai toujours été intéressée par les sciences naturelles, notamment du fait de leur caractère précis. J’ai aussi été motivée par l’exemple de mon père et de ma mère, respectivement chirurgien et médecin interniste- allergologue. Je n’ai pas l’impression que mon parcours ait été rendu plus difficile du fait d’être une femme ou d’être d’origine étrangère (Bulgare et Allemande). Peut-être même que cela a renforcé ma motivation. Je remarque cependant que les femmes se montrent souvent plus prêtes à faire des compromis et qu’en fin de compte, c’est la personne qui s’affirme le plus qui remporte la mise, plutôt que celle qui dispose des meilleures compétences. »
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Après les États-Unis
NELLY PITTELOUD
Cheffe du Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme, 57 ans, arrivée au CHUV en 2010.
«Faire de la recherche en parallèle avec une activité clinique permet de rester à la pointe de la médecine tout en faisant bénéficier les patients des traitements les plus avancés. Le fait d’être une femme favorise certainement une sensibilité à certaines pathologies. Je travaille actuellement sur un projet consacré à l’infertilité au Pakistan, qui vise à atténuer les préjugés culturels et sexistes et à amener les femmes à consulter.
À la fin de mes études de médecine, le doyen m’avait expliqué que la voie de la recherche était incompatible avec une vie de famille. J’ai alors travaillé durant une dizaine d’années en clinique, avant d’avoir l’opportunité de partir aux États-Unis pour me former comme chercheuse. Cela a été une expérience unique, durant laquelle j’ai découvert une culture de travail basée essentiellement sur le mérite. Autre fait marquant : nous étions plus d’un tiers de femmes professeures au Massachusetts General Hospital, contre une poignée à mon arrivée au CHUV. Heureusement, la situation semble évoluer ici.»
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Des formes de management bienveillantes
ANGELA KOUTSOKERA
Médecin associée au Service de pneumologie, 40 ans, arrivée au CHUV en 2011.
«La complexité médicale des patients transplantés et des personnes touchées par la mucoviscidose m’a attirée vers la pneumologie, car ces profils ont besoin d’une écoute particulière et d’une approche multidisciplinaire. L’interaction avec les patient-e-s et les collègues des autres spécialités motivent mon travail clinique au quotidien et inspirent mes projets de recherche. Pour accéder à un poste à responsabilités, les compétences, particulièrement celles de leadership, devraient primer le genre. Les mentalités évoluent et des formes de management modernes et bienveillantes sont désormais adoptées. Elles devraient permettre une égalité d’accès aux opportunités de développement de carrière. La mienne était parsemée de nombreux défis, similaires à ceux rencontrés par mes collègues masculins.»
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Pour le «top-sharing»
FERNANDA HERRERA
Médecin associée, investigatrice clinicienne au Service de radio-oncologie et Service d’immuno-oncologie, présidente du Groupe gynécologie de l’Organisation européenne pour la recherche et le traitement du cancer (EORTC), 46 ans, arrivée au CHUV en 2010.
«La médecine est un domaine exigeant, mais qui correspond à ma vocation et à mon besoin d’aider les autres. J’ai été inspirée par un médecin, ami de ma famille : j’admirais l’empathie dont il faisait preuve envers ses patient-e-s. Je me suis spécialisée en oncologie, inspirée par l’investissement du corps médical pour prendre en charge un de mes proches très âgé avec un cancer avancé.
Mes recherches portent sur l’évaluation de la réponse des patients à l’immunothérapie du cancer. J’étudie comment cette technologie prometteuse peut être combinée avec des traitements plus éprouvés comme la radiothérapie.
Je suis d’une nature persévérante et optimiste et je me suis toujours dit que si d’autres y sont arrivées, je pouvais le faire aussi. Mais les postes à responsabilités demandent un investissement hors norme. Cela peut freiner les femmes qui ne souhaitent pas faire abstraction de leurs projets personnels, d’où l’intérêt de développer des initiatives comme le ”top-sharing”, qui permettent de partager un poste entre plusieurs personnes.»
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IA, un domaine pas seulement masculin
SOPHIE POUZOLS
Infirmière clinicienne spécialisée / Doctorante en sciences infirmières, 41 ans arrivée au CHUV en 2011
«Je suis arrivée au CHUV il y a une dizaine d’années, à l’occasion de l’ouverture de l’Unité de médecine palliative. J’ai eu l’occasion de suivre plusieurs formations continues qui m’ont amenée à l’étude de l’amélioration de la performance des services infirmiers. Cette dernière année, j’ai partagé mon temps entre la recherche et mon travail d’infirmière clinicienne. Je n’ai pas observé d’obstacles particuliers dans l’évolution de ma carrière, mais c’est aussi lié à ma vie personnelle : je n’ai pas d’enfants et bénéficie d’un soutien sans faille de la part de mon mari.
Je m’apprête désormais à commencer un doctorat. L’objectif ? Mettre au point un outil informatisé d’aide à la décision pour la détection précoce d’états confusionnels chez les patients âgés. Ce projet va faire appel aux techniques de machine learning et d’intelligence artificielle, un domaine il est vrai encore très masculin. Je compte y apporter toute mon expérience pratique de la clinique, de manière à développer un outil qui soit réellement utile au quotidien. »
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Prévention dès l’enfance
MATHILDE MORISOD
Médecin adjointe, MERc, cheffe de la filière pédopsychiatrie de liaison, SUPEA, 45 ans, arrivée au CHUV en 2002.
«Mon intérêt pour la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est né au cours de ma première année d’études. J’ai été séduite par le potentiel préventif et la possibilité d’une action encore plus grande lorsque le traitement psychiatrique s’effectue de façon précoce sur l’enfant. J’envisage principalement la recherche en lien avec la clinique. En 2009, j’ai pu bénéficier du prix d’encouragement à la promotion académique des femmes du Département de psychiatrie, à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, qui m’a permis de développer mon activité de recherche.
Mon travail se concentre sur la période périnatale et les stress précoces. Un de nos projets actuels, avec mon équipe, est de comprendre l’impact d’un stress provoqué par une hospitalisation en cours de grossesse sur l’état psychique de la mère et de son partenaire et les éventuelles conséquences sur l’enfant. Cela permettra de développer des interventions thérapeutiques précoces.»
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Garder un temps protégé
AURÉLIE LASSERRE
Cheffe de clinique au Département de psychiatrie, 39 ans, arrivée au CHUV en 2010.
«Lorsque j’ai choisi mon orientation professionnelle, j’ai suivi mon intérêt pour les sciences naturelles au sens large. Je savais aussi que j’avais envie de travailler avec des gens. J’ai donc opté pour la médecine. J’ai toujours fait des allers-retours entre clinique et recherche. Actuellement, j’effectue un postdoctorat au Centre d’addiction et de santé mentale, à Toronto, au Canada. Mon projet, financé par le FNS, porte sur les déterminants sociaux dans les troubles liés à l’alcool et à la dépression.
En tant que femme, la différence principale, selon mon point de vue, est que l’on doit plus affirmer son désir de faire une carrière académique et de s’impliquer dans la vie institutionnelle. Alors que cela va davantage de soi pour les hommes. À mon retour en Suisse, le challenge sera d’obtenir un financement qui me permette de garder un temps protégé pour la recherche, à côté de ma pratique clinique.»
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Clinique et recherche, aller et retour
LUCIA MAZZOLAI
Cheffe du Département cœur-vaisseaux et Cheffe de service d’angiologie au CHUV, arrivée au CHUV en 1994.
«Ma passion pour l’innovation et l’être humain m’a orientée vers la médecine. Je me suis spécialisée en angiologie, c’est-à-dire tout ce qui concerne les vaisseaux sanguins. J’ai réalisé mes études à Pérouse, en Italie, avant de faire carrière en Suisse. Ce qui m’inspire, c’est l’aller-retour entre la clinique et la recherche. De mon expérience clinique naissent des questions. La recherche me permet de formuler des réponses que je vérifie ensuite auprès de mes patients. L’une ne va donc pas sans l’autre.
Pendant mon cursus, le fait d’être une femme n’a pas entraîné de difficultés. En revanche, avec le recul, je me suis rendu compte que j’avais pu parvenir à mon poste actuel grâce au soutien d’hommes qui ont eu confiance en mon travail. Aujourd’hui, seules 15% des médecins cadres sont des femmes. Il faut urgemment réduire cet écart.»
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Ouvrir le dialogue
NOÉMIE BOILLAT BLANCO
Médecin associée au Service des maladies infectieuses, 44 ans, arrivée au CHUV en 2008.
«Je me suis orientée vers les maladies infectieuses, car j’aime l’approche communautaire de la médecine où prévention et traitements se mêlent aux problématiques de santé publique. La conciliation entre clinique et recherche est indispensable pour accéder aux postes académiques. Malheureusement, il est souvent laborieux de la conjuguer avec la logistique familiale, ce qui explique en partie l’exclusivité masculine observée à ces postes. Évoluer dans un monde d’hommes, sans personnalité féminine à qui s’identifier et de qui s’inspirer, est parfois difficile. Désormais, les comportements évoluent et les jeunes générations d’hommes médecins tentent, comme nous, de conjuguer travail et vie privée. Cela permet enfin d’échanger sur ces problématiques et d’ouvrir le dialogue, sans paternalisme ni ambiguïté.»
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Fille de médecins
MARIA LATANIOTI
Cheffe de clinique au Département de psychiatrie, 35 ans arrivée au CHUV en 2015.
«La recherche que je mène au sujet des addictions chez les plus de 55 ans est venue d’un besoin clinique concret. Ce domaine est peu exploré, même au niveau mondial. Il me fallait donc mener des recherches pour savoir comment prendre en charge les patients. J’ai la chance d’évoluer dans un département où je suis particulièrement soutenue par la hiérarchie : j’ai notamment été accompagnée pour décrocher des bourses et pour pouvoir bénéficier de formations complémentaires.
Fille de médecins, j’ai grandi au cœur de discussions au sujet de la médecine. Mais c’est seulement au cours de mes études que j’ai découvert un intérêt particulier pour la psychiatrie et la gériatrie. Ces domaines correspondent finalement parfaitement à mon esprit analytique.»
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Une vocation dès les études
CAROLINE ARBER BARTH
Médecin associée en immuno-oncologie et en hématologie, professeure associée à l’UNIL, scientifique adjointe de la branche lausannoise de l’Institut Ludwig, 47 ans, arrivée au CHUV en 2017.
«Je consacre 80% de mon temps de travail à la recherche et 20% à la clinique. Actuellement, mon travail est axé sur l’immunothérapie ciblant les cancers du sang. En recherche, nous développons de nouvelles approches pour les thérapies cellulaires à base de lymphocytes T, des globules blancs responsables de l’immunité cellulaire, pour les faire lutter contre la maladie. En clinique, je suis responsable de la consultation ambulatoire pour ce type de thérapies.
La volonté de me consacrer à la recherche est venue au cours de mes études, au contact des questions importantes et pourtant irrésolues. Cette recherche coïncide avec ce qui m’a menée à cette carrière : mon envie de me lancer dans la médecine afin de développer de nouvelles thérapies.»
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Un attrait pour la technique
CÉLINE DESLARZES
Médecin associée au Service de chirurgie vasculaire, 38 ans, arrivée au CHUV en 2009.
« Il y a quelques années seulement, il était peu fréquent de trouver des femmes chirurgiennes. Aujourd’hui, la profession se féminise. Pour ma part, j’ai su très jeune que c’était dans la chirurgie que je voulais me lancer. J’étais attirée par le côté technique de cette spécialité. Mon intérêt pour la chirurgie vasculaire m’a poussée à faire de la recherche en parallèle de mon activité clinique.
L’un des axes de recherche que je mène conjointement avec l’angiologie concerne la prévention cardiovasculaire secondaire chez les patient-e-s souffrant d’artériopathies. Le but est de développer un algorithme permettant de les identifier à l’aide du dossier médical patient et du machine learning et d’être capable de prédire l’apparition de complications cardiovasculaires. De tels outils nous permettront d’offrir une prise en charge personnalisée et préventive à toutes les patientes et patients artériopathes.»
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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 23).